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vendredi 3 août 2012


AUX ARMES ET CAETERA
UN SPLIFF AU GOUT DE GITANE
Vincent TURBAN

Au creux de la vague en cette fin des 70’s et enchaînant les échecs commerciaux malgré des joyaux comme « Melody Nelson » (1971) ou « Vu de l’extérieur » (1973), mais plébiscité par une génération d’artistes comme le groupe Bijou qui reprend « Les Papillons Noirs », Serge Gainsbourg ayant découvert le reggae au milieu des années 70, part trouver l’inspiration en Jamaïque. Flash-back sur la genèse d’un authentique chef d’œuvre de la musique hexagonale.

Le détonateur du projet est la rencontre avec Chris Blackwell, le PDG du label Island qui arrange le coup en le mettant en relation avec la formation Word, Sound And Power (les musiciens de Peter Tosh incluant le batteur Lowell « Sly » Dunbar et le bassiste Robbie Shakespeare) et les choristes de Bob Marley, les I-Threes.

Coup de bluff auprès du patron de Philips, Gainsbourg a les titres de ses futures compositions mais pas de textes. Arrivé à Kingston, l’inspiration vient et en une nuit toutes les paroles sont couchées sur papier. Au niveau rythmique, tout est mis en boîte en 2 jours grâce à la maestria de Sly and Robbie, véritable centrale atomique sonore. Dougie « Radcliffe » Bryan et Mikey »Mao » Chung apportent le tranchant du skank reggae avec leurs guitares, Uziah Sticky Thompson tisse un patchwork de percussions absolument parfait, Ansel Collins et Robbie Lyn apposent un travail de clavier magistral.
 

Chaque note, chaque mesure claque de toute part, les riddims sont concoctés au millimètre près. Le tout est enregistré et mixé dans l’un des meilleurs studios de l’île, le Dynamic Sounds Studios.

Sur cet opus, Gainsbourg ne pratique pas le chant au sens traditionnel du terme, il fait du talk-over (littéralement parler sur la musique). Cette technique vocale est très utilisée dans la musique jamaïcaine et annonce les prémices du rap et du hip-hop, qui apparaîtront aux USA à la fin de la décennie 70.

Au final, l’album fait découvrir les vibrations universelles de la musique reggae dans notre bon vieil hexagone (même si le Roi Marley est passé à plusieurs reprises en France entre 1976 et 1979), malgré les attaques en règle des médias, notamment le billet d’humeur de Michel Droit dans Le Figaro du 1er juin 1979 qui reproche à l’artiste de « propager inconsciemment l’antisémitisme en associant cette parodie scandaleuse, même si elle est débile, avec notre hymne national ». À partir de ce moment, la carrière de Serge Gainsbourg décolle à nouveau.


GOJIRA : L’ENFANT SAUVAGE,
Chronique d’une fin de cycle
Etienne ROSE
 
C’est en ce début d’été 2012 que le groupe originaire de Bayonne GOJIRA décide de sortir son cinquième album, mais avant de continuer, revenons sur un groupe sous médiatisé dans son propre pays (comme l’ensemble de la scène dont il est issu d’ailleurs).

GOJIRA est un groupe de death metal ; un sous-genre basé sur un rythme très rapide, un son très lourd et menaçant, une haute technicité dans l’exécution et une imagerie généralement morbide et/ou sataniste. Si les landais reprennent effectivement dans leur musique les codes inhérents au genre (on sent notamment l’influence de cadors comme MORBID ANGEL ou DEATH par exemple), ils ont aussi su intégrer d’autres éléments à leurs compositions.
Ainsi comme les Suédois de MESHUGGAH, ils truffent leurs morceaux de polyrythmies complexes, assuré par le batteur Mario DUPLANTIER (considéré par ses pairs comme l’un des meilleurs en activité). A l’instar de groupes comme TOOL ou NEUROSIS, on sent une prépondérance du songwriting sur la technicité pure, favorisant l’intégration d’éléments progressifs et atmosphériques. Enfin, le discours tenu par le groupe diverge totalement des canons du genre, axant leurs paroles sur une vision philosophique de l’évolution de l’humanité et la défense de l’environnement. L’ensemble de ces éléments font de la musique de GOJIRA quelque chose d’unique au sein d’une scène où le clonage de groupes génériques est malheureusement devenu monnaie courante.

Ce son ne s’est pas forgé en un jour, et si du temps de « Terra Incognita » (2001) et « The Link » (2003) le groupe restait relativement « classique » dans sa musique ; l’album « From Mars To Sirius » sorti en 2005 a su amener un esprit onirique et planant dans un genre d’habitude plutôt chaotique et brutal.
A l’opposé, l’album suivant « The Way Of All Flesh » sorti en 2008 privilégiait plus l’expérimentation technique au détriment de la cohésion d’ensemble, rendant le tout inégal . Après, c’est par cet LP que le groupe accède à la notoriété internationale, la production plus léchée y ayant contribué. Mais qu’en est-il en 2012 ?

La réponse tient en un juste milieu : si GOJIRA semble perdurer dans la direction de l’album précédent quant à la production, on retrouve également un effort de songwriting et de cohérence qui avait fait défaut à « The Way Of All Flesh ». Ainsi, aucun titre ne semble être là par hasard ; et à l’instar de « From Mars To Sirius », l’ajout de mélodies mettant en avant une atmosphère mélancolique (à contrario de « FMTS » qui lui prônait l’onirisme) renforce la cohésion de l’ensemble, rendant « L’Enfant Sauvage » assez unique. Aucun des titres présents sur cet album ne pourrait se retrouver ailleurs.

Attention toutefois : cela reste un album de metal extrême, avec tout ce que cela implique en matière de tempos supersoniques et de dissonances saturées (« Planned Obsolescence », ou comment faire passer une batterie pour une foreuse industrielle).
Mais il se dégage de l’écoute une étonnante sensation de calme de prime abord assez antinomique avec la fureur de la musique joué ; comme ces couplets accrocheurs de la chanson « L’Enfant Sauvage », le refrain de « Mouth Of Kala » ou encore cet arpège entêtant accompagnant « The Gift Of Guilt ».
Enfin, l’album est parsemé de plans sortant totalement du cadre du death metal ; comme cet outro évoquant Ennio Morricone sur « Explosia » ou encore ce « The Fall » doomesque à souhait. Evidement, certains passages semblent avoir été déjà entendu ailleurs sur la discographie du groupe (le pinkfloydien « Born In Winter », qui ne dépareillerais pas sur « From Mars To Sirius ») ; mais n’est-ce pas le signe que le groupe a réussi à forgé son propre son ? En soit, c’est la preuve que les landais n’ont plus rien à prouver.

Fini les balbutiements des débuts. Fini la complexité envahissante de « The Way Of All Flesh ». GOJIRA sort en 2012 l’album le plus naturel qui soit. En ce sens, on peut parler d’une fin de cycle ; car avec « L’Enfant Sauvage », la bande des frères Duplantier assume son style et son statut en tant que groupe. C’est en effet un groupe qui sait quel est son identité et qui aborde ses compositions sans prises de têtes superflues. La marque des grands groupes en somme.
 
Line-up :
Joe Duplantier : chant, guitare
Christian Andreu : guitare
Jean-Michel Abadie : basse
Mario Duplantier : batterie

Tracklist :
01 : Explosia
02 : L’Enfant Sauvage
03 : The Axe
04 : Liquid Fire
05 : The Wild Healer
06 : Planned Obsolescence
07 : Mouth Of Kala
08 : The Gift Of Guilt
09 : Pain Is A Master
10 : Born In Winter
11 : The Fall